Cor des Alpes et droit d’auteur

Quiconque utilise des partitions de cor des Alpes et exécute de la musique de cor des Alpes en public s’engage sur le terrain glissant du droit d’auteur. Dans le contexte de la publication de notes sur naturtoene.ch, je me suis renseignée sur le sujet – voici mon résumé :

Droits d’auteur dans le droit de la propriété intellectuelle

Les droits d’auteur sont les droits des auteurs sur leurs « œuvres ». Est considérée comme œuvre une création personnelle dans le domaine de la littérature, de l’art – par exemple des morceaux de musique – et de la science. Le droit d’auteur (national) détermine l’étendue de ces droits d’auteur. En Suisse, il s’agit de la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins (Loi sur le droit d’auteur, LDA) de 1992, en Allemagne de la loi sur le droit d’auteur (Urheberrechtsgesetz, UrhG) de 1965 (et sa réforme en 2021). Au niveau international, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) s’efforce d’harmoniser les législations nationales en matière de droit d’auteur.

Le cœur du droit d’auteur est la propriété (intellectuelle) des auteurs sur leurs œuvres. Celui qui crée une œuvre peut décider librement de l’utilisation de son œuvre – en particulier de sa publication, de sa reproduction et de son exécution – et a droit à une rémunération en cas d’utilisation. Par exemple, un compositeur peut décider que ses morceaux ne peuvent pas être utilisés dans les vidéos de campagne d’un certain parti politique. Il a droit à des parts des publications de ses partitions et à des redevances lors de l’exécution de ses morceaux ou de leur utilisation dans des produits audiovisuels. Ce droit de propriété naît automatiquement de l’acte créatif.

Les droits d’auteur sont valables jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur/de la créatrice. Après l’expiration de cette période de protection, il s’agit d' »œuvres libres ». Alfred Leonz Gassmann est décédé en 1962 ; même ses œuvres sont donc encore protégées pendant quelques années. L’auteur peut transférer ou léguer ses droits à des tiers.

Comme les propriétaires des droits d’auteur ne peuvent pas négocier individuellement avec tous les utilisateurs, ce sont les sociétés de gestion collective qui se chargent de ce travail. Pour les droits d’auteur des compositeurs et des éditeurs de musique, il s’agit de SUISA (CH) ou de GEMA (DE). Les auteurs d’œuvres musicales peuvent déléguer contractuellement la gestion de leurs droits de propriété à une société de gestion collective en devenant membres de cette dernière. Les sociétés de gestion collective se chargent ensuite de l’encaissement auprès des utilisateurs d’œuvres musicales et transfèrent les redevances aux ayants droit concernés.

Le problème des notes de cor des Alpes

Les œuvres musicales sont mises sur papier sous forme graphique (notes & partitions). La partition elle-même est également protégée par le droit d’auteur. Ainsi, même si un compositeur est décédé depuis plus de 70 ans, les partitions peuvent continuer à être soumises au droit d’auteur en tant qu’œuvre écrite. Lors de la publication de partitions, il est courant que l’éditeur prenne en charge une partie des droits d’auteur. Au niveau international, la limite supérieure est fixée à 1/3 des droits d’exécution et de diffusion. De manière générale, on peut toutefois dire que la publication de notes de cor des Alpes n’est pas une activité rentable. Cela vaut également pour les publications à compte d’auteur. Même les compositeurs de cor des Alpes les plus renommés couvrent à peine leurs frais, sans compensation pour le temps passé à l’impression et à la distribution.

La question des copies est importante pour les joueurs de cor des Alpes. Il existe à ce sujet une publication présentant le point de vue de SUISA; on peut y lire En règle générale, il est interdit de copier des partitions sans l’autorisation de l’éditeur (ou de l’auteur dans le cas d’une œuvre non éditée). La réalisation de photocopies d’œuvres complètes ou d’extraits pour des chœurs, des fanfares, des associations d’orchestres, etc. nécessite par exemple une autorisation de l’éditeur. Ce principe s’applique indépendamment du fait que l’éditeur mentionne explicitement sur le papier l’interdiction de copier. L’exception à cette règle est l' »usage personnel », c’est-à-dire l’utilisation dans le cercle de personnes étroitement liées (familles et amis proches), d’écoles et d’entreprises. Il est par exemple permis de scanner des cahiers de notes achetés sur son propre e-reader ou d’en faire une copie pour des annotations. Le mot « écoles » laisse une marge d’interprétation. Les écoles de musique en font généralement partie. Il convient de noter que les écoles et les entreprises versent des forfaits annuels via ProLitteris (la société de gestion des œuvres écrites) en guise de compensation pour les photocopies de matériel protégé par le droit d’auteur. La distribution de fichiers pdf par des professeurs de cor des Alpes en dehors d’une institution tombe en revanche dans une zone d’ombre obscure. En outre, il existe une restriction selon laquelle, dans le cas des écoles, seuls des « extraits » peuvent être copiés (un morceau de cor des Alpes est une œuvre, et non un extrait d’un recueil).

Il semble assez clair que les copies (photocopies ou transcriptions) de partitions pour des ateliers de cor des Alpes, l’utilisation de partitions copiées au sein de formations de cor des Alpes ou la distribution de « chœurs complets » pour des festivals et des clubs de cor des Alpes ne sont légales qu’avec l’autorisation des propriétaires des droits d’auteur. Une formation de cor des Alpes qui respecte la loi achète une partition pour chaque membre ou demande une autorisation de copie. Comme les répertoires sont généralement composés de pièces de différents compositeurs et collections, cela peut représenter un investissement important en temps et en argent.

Les œuvres épuisées constituent un cas particulier. Ce thème est très présent dans la musique de cor des Alpes. Les partitions d’œuvres connues – publiées à compte d’auteur par un compositeur décédé entre-temps – ne sont plus du tout disponibles par la voie officielle et les propriétaires des droits d’auteur ne peuvent être trouvés qu’au prix d’efforts substantiels. Les pièces circulent sous forme de photocopies de photocopies. Celui qui souhaite les étudier et les interpréter aujourd’hui se trouve donc face à un dilemme, car le principe de la SUISA cité plus haut s’applique explicitement aussi aux œuvres épuisées. Voir à ce sujet mon projet sur Robert Körnli.

Du point de vue des joueurs de cor des Alpes, l’utilisation de partitions mises gratuitement à disposition pour téléchargement avec l’accord des détenteurs des droits d’auteur pose moins de problèmes. Comme SUISA a renoncé à la gestion des droits d’auteur sur les partitions, les compositeurs peuvent également créer une autorisation de publication en ligne de leurs partitions pour les œuvres déclarées (pour autant qu’ils n’aient pas cédé les droits à un éditeur). Ils ne renoncent pas pour autant aux droits d’auteur sur les œuvres. En particulier, le droit à rémunération lors de l’utilisation des œuvres – et donc l’obligation de déclarer les exécutions – est maintenu.

Représentations de musique de cor des Alpes

Lors d’exécutions de musique de cor des Alpes, les auteurs ont droit à une rémunération pour l’utilisation de leurs œuvres. Seules les représentations dans le domaine privé (par exemple, une chanson d’anniversaire pour tante Louise) font exception à cette règle. Celui qui joue du cor des Alpes en pleine nature finit par avoir des spectateurs ; comme pour la musique de rue, la SUISA renonce toutefois à percevoir des droits de licence pour des rassemblements de public aussi spontanés, sans organisateur clairement défini.

Les concerts professionnels doivent être décomptés par les organisateurs auprès de la SUISA selon le tarif K de la SUISA; les redevances pour les droits d’auteur s’élèvent alors au maximum à 10% (généralement de l’ordre de 8%) des recettes ou des frais. Dans le domaine de la musique amateur – donc pour la majorité des joueurs de cor des Alpes – les sociétés de gestion misent sur des paiements forfaitaires via les associations musicales. Le tarif B de SUISA prévoit des cotisations annuelles de 6 à 10 CHF par membre pour les sociétés de musique (entre autres les associations de cors des Alpes). Les grandes associations – comme l’Association fédérale des yodleurs – bénéficient de réductions ; sur les quelque 2’000 joueurs de cor des Alpes de l’Association des yodleurs, environ 10 à 15’000 CHF sont ainsi versés chaque année aux compositeurs de musique de cor des Alpes – après déduction d’environ 13% de frais administratifs. L’association Fédérale finance donc environ un(e) compositeur/compositrice à 20%.

Avec le paiement forfaitaire par l’intermédiaire de l’association, les joueurs de cor des Alpes ne reçoivent toutefois pas un chèque un blanc. La licence n’est valable que pour les manifestations organisées par les associations elles-mêmes. Cela couvre notamment les fêtes de yodel officielles, mais pas les rencontres de cor des Alpes organisées par d’autres, ni les représentations lors de rassemblements de partis, de manifestations du 1er août ou de fêtes d’entreprise. Lors de telles représentations, les organisateurs doivent faire les comptes auprès de SUISA avec les setlists ; selon le type de manifestation, différents tarifs sont appliqués. Conformément au contrat, les groupes ad hoc doivent également facturer leurs concerts séparément via le Tarif K. Il en va de même pour les concerts organisés par les associations dont le prix des billets dépasse 45 francs. Si des joueurs de cor des Alpes se produisent sur la montagne en échange d’un abonnement annuel, cela n’est pas couvert par le paiement forfaitaire de l’association des yodleurs, mais devrait être décompté par le chemin de fer de montagne auprès de la SUISA.

Afin d’assurer une répartition équitable des recettes de licence, SUISA demande aux joueurs de cor des Alpes de lui fournir des listes des morceaux joués. Au sein de l’association des yodleurs, cette liste est établie électroniquement via une plateforme ; les petites formations fournissent un formulaire chaque année. Ces déclarations sont en fait obligatoires, mais ne sont pas toujours faites. Hans-Jürg Sommer m’a dit qu’il estimait qu’au maximum 1/4 de toutes les représentations étaient déclarées. La non-déclaration n’a pas d’influence sur le montant total des redevances réparties par SUISA, mais sur la répartition entre les différents compositeurs.

Enregistrements

Celui qui a obtenu une bonne évaluation lors d’une fête de yodleurs est fier de mettre en ligne la vidéo de sa propre prestation. Toutefois, les droits d’auteur du compositeur/de la compositrice sont alors violés.

Il y a peu de marge de manœuvre en ce qui concerne la publication sur Youtube de compositions enregistrées par des tiers. Un joueur de cor des Alpes connu dans le milieu a enregistré avec amour des centaines de morceaux au fil des ans et les a mis en ligne sur son canal – depuis une lettre de la SUISA, il se limite à ses propres compositions. On peut se demander si cette suppression a vraiment rendu service aux compositeurs : De nombreux joueurs de cor des Alpes ont utilisé les enregistrements pour choisir des morceaux à étudier ; il est possible qu’ils aient ensuite acheté les partitions. Une alternative à l’écoute avant l’étude sont les partitions lisibles (p. ex. Musescore ou fichiers MusicXML) ; comme la conversion des notes en audio se fait sur l’ordinateur de l’utilisateur, il n’y a pas de conflit juridique avec les droits d’exécution exploités par SUISA. Cette solution, utile pour les utilisateurs, est par exemple utilisée par Michel Fellmann sur ce site.

L’interprétation de la musique est aussi un acte créatif. Mais elle n’est pas considérée en tant que telle comme une « œuvre » au sens du droit d’auteur. On parle plutôt d’interprétation d’une œuvre par des interprètes. Lors d’enregistrements (sonores ou vidéo), il convient de respecter non seulement les droits d’auteur, mais aussi les droits voisins (également appelés droits voisins). Par droits voisins, on entend les droits des interprètes (musiciens, chanteurs, acteurs, etc.) sur leurs prestations, les droits des producteurs de phonogrammes et d’images sur leurs enregistrements et les droits des organismes de diffusion sur leurs émissions. SWISSPERFORM (CH) / GVL (DE) sont compétents pour la gestion des droits voisins. Celui qui filme et publie les apparitions d’autres personnes risque de rencontrer des problèmes juridiques avec elles. Tous ces touristes japonais qui partagent leurs petits films de nous, les joueurs de cor des Alpes, sur le Pilate via Instagram…

Et la morale ?

J’ose affirmer que chaque joueur de cor des Alpes actif viole occasionnellement des droits d’auteur. Il s’agit parfois d’infractions délibérées motivées par des raisons financières, parfois par commodité ou par ignorance. Ce non-respect systématique de la propriété (intellectuelle) privée contraste avec l’esprit bourgeois qui règne d’ordinaire bruyamment dans le milieu du cor des Alpes . Cela n’a guère de conséquences juridiques. Ce n’est que dans les cas flagrants que les avocats se manifestent. Les compositeurs/trices publiant à compte d’auteur n’ont aucun moyen d’action contre les boîtes de dépôt partagées et les médias sociaux.

D’un point de vue éthique, la situation est différente. Les joueurs de cor des Alpes se plaisent à être les gardiens du patrimoine culturel. Une rémunération équitable des créateurs d’œuvres n’en fait-elle pas partie ? Et une indemnisation forfaitaire au prix d’une saucisse à la fête des yodleurs est-elle suffisante ? En fin de compte, c’est à chacun(e) de décider devant son propre miroir. Ma recommandation personnelle : achète donc de temps en temps un cahier de notes – même si tu n’en as peut-être pas vraiment besoin. Tu peux aussi exprimer ton appréciation pour le travail des compositeurs et compositrices par une contribution volontaire – j’ai mis en ligne les liens correspondants dans la rubrique Partitions. Ce n’est que si nous, joueurs de cor des Alpes, soutenons le travail des compositeurs que le cor des Alpes restera une tradition vivante et durable.

Boîte de réception : Entretien avec Bruno Marty

Bruno Marty est directeur de la Coopérative suisse des artistes interprètes (SIG) à Zurich. Il connaît la branche musicale d’une part en tant qu’ancien musicien, booker et promoteur, et d’autre part en tant que membre de différentes organisations (action swiss music, Suisseculture, mx3, Swissperform, etc.). En tant que professeur invité pour les questions de droit musical, il initie les futurs musiciens et musiciennes aux bases du droit d’auteur, des droits voisins et du droit des contrats dans les conservatoires de Lucerne, Zurich et Berne.

naturtoene : Bruno, que doivent savoir les musiciens d’aujourd’hui en matière de droit d’auteur ?

Bruno Marty : Le droit d’auteur confère aux musiciens des droits pour leur protection et définit en même temps la manière dont ils peuvent utiliser ces droits. En d’autres termes, ils décident si, quand et comment leurs œuvres ou leurs prestations peuvent être utilisées. Les musiciens doivent savoir ce qu’ils doivent faire en général et savoir où trouver des informations en cas de besoin. Dans le détail, les questions sont souvent très complexes. Je n’ai certainement pas la prétention de faire de mes étudiants des spécialistes du droit. Ils doivent toutefois savoir où se situent les points délicats. Et je leur donne le conseil suivant : en cas de doute, demandez et parlez ensemble.

Où se situent-ils, les points délicats ?

Le thème des « adaptations » est toujours passionnant : reproduire fidèlement une composition (cover) est a priori autorisé. Dès qu’on les modifie, il faut l’accord du compositeur. La limite entre la couverture et l’adaptation n’est cependant pas toujours précise et doit être évaluée au cas par cas. L’approche de cette thématique varie selon les scènes. Dans le jazz, par exemple, les morceaux sont encore « considérés » comme des reprises, même si les interprètes s’éloignent beaucoup de l’original.

Un autre casse-tête, même chez les professionnels, est la gestion des notes. Dans la pratique, les dispositions strictes de la loi ne sont probablement pas toujours respectées. On essaie peut-être une fois un morceau sans acheter les partitions. Il est clair qu’au plus tard lors d’une représentation plus importante, une telle nonchalance n’est plus acceptable.

La SUISA intervient-elle alors ?

La mission de SUISA consiste à gérer les droits d’auteur – c’est-à-dire à percevoir les redevances et à les répartir le plus équitablement possible. La SUISA n’est toutefois pas une police du droit d’auteur. Elle intervient toutefois sur indication des propriétaires des droits d’auteur, ce qui est plutôt rare. De nombreux compositeurs apprécient que leurs œuvres soient jouées et adaptées. Les conflits juridiques surviennent plutôt lorsque des éditeurs et des producteurs sont en jeu et que des intérêts économiques plus importants sont en jeu.

Les joueurs de cor des Alpes peuvent-ils donc partir du principe qu’en tant qu’amateurs sans pain, ils ne sont pas concernés par le droit d’auteur ?

Je trouve que la dichotomie entre amateur et professionnel pose problème. Elle implique une différence de valeur. L’objectif d’une société de gestion est qu’elle répartisse autant que possible les redevances perçues entre les compositeurs et les interprètes qui ont été effectivement utilisés. Il en résulte que les uns reçoivent plus que les autres. Dans ce contexte, une société doit également garder à l’esprit la rentabilité afin de distribuer un maximum de tantièmes et de ne pas les consommer dans l’administration. Les amateurs qui passent à la radio ou se produisent lors de grandes manifestations sont également facturés avec précision.

Dominique Schwarz de la SUISA et Bruno Marty de la coopérative des artistes interprètes SIG m’ont aimablement soutenu dans la rédaction de cet article – merci beaucoup !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *